lundi 24 janvier 2011

Fiji Time

Assis les fesses bien enfoncées dans un siège de Pacific Airways, on se laisse aller. On fly. La vie compliquée du Québec venait de se transformer. Les minutes comptées, gagnées et perdues n’existaient plus. Le temps s’étirait et nous donnait l’impression que nous pouvions respirer à nouveau. L’agenda des prochaines heures était bien simple : dormir, regarder des films, manger ce qu’on dépose devant nous et laisser défiler les minutes, autrefois précieuses, jusqu’à ce que le pilote annonce la descente pour les Îles Fidji. 

Après trois escales, nous étions des spécialistes des aéroports de Montréal, Chicago et LA. Prières de nous contacter pour connaître les restaurants les moins chers et la situation des racoins où il est possible de s’allonger. Nous  avons beaucoup observé les gens autour de nous. Pour prendre l’avion, il semble y avoir un déguisement et un comportement consenti de tous. Il faut simuler qu’on est riche, très riche, et porter une cravate.  Ensuite, il faut agir comme si le monde entier souffrira de cette absence de quelques heures du plancher des vaches. A cette fin, il suffit de ne jamais quitter son blackberry des yeux. Une minute d’inactivité électronique pourrait révéler une faiblesse. Geneviève et moi avons un jeu pour passer le temps; imaginer l’histoire des gens qui nous entoure. Nous avons beaucoup rit.

Escale à Los Angeles, en Californie. Déjà l’atmosphère de plage régnait. Nous avons retiré nos manteaux d’hiver et sommes sortis marcher, prendre l’air. Le soleil se couchait, le vent était chaud et les gens sympathiques… ultra relax. La mégapole compte plusieurs millions d’habitants. Je suis resté surpris de voir les inconnus se saluer dans la rue. «Hey! How ya dooinnn! ». Nous allons bien… très bien! « we’re feelin alright man! ».


Nous volions au-dessus du pacifique, affectés par le décalage horaire et par un retard important sur les heures de sommeil recommandées. Le vol de 9 heures nous parut donc très court, car nous avons dormi pendant presque tout le trajet. À mon réveil, quelle fût ma surprise de voir la flaque de sang sur mon banc. L’appui-bras avait agît comme une râpe sur mon pauvre coude qui était alors ensanglanté. Nous avions atteint un point de fatigue où notre corps ne ressentait même plus la douleur. 

A 5:15 am nous y étions! Fidji! Déjà à la sortie de l’avion la chaleur et l’humidité nous frappa de plein fouet.  Comment était-ce possible qu’il fasse aussi chaud à 5hr du matin? Nous étions traumatisés à l’idée de faire du vélo en plein après-midi. Le premier choc culturel nous secoua au poste de douane. Devant la file d’attente, un groupe de musique traditionnelle Fidjien se donnait en spectacle, diffusant des rythmes chauds, enflammés. Des guitares rapides et rythmées. Bienvenue aux îles Fidji, il était alors 5:30 du matin! Un peu comme un réveille-matin en version joyeuse. Nous avons ensuite traversé la douane où tous les hommes fonctionnaires portaient la jupe longue (nommé sulu) et décoraient leur cheveux de fleurs blanches. Nous avions saisi le concept; le cliché parfait des îles et de l’ambiance décontractée. L’idée fût accueillie avec réjouissance.


Nous avons ensuite récupéré nos vélos en pièces détachés et constaté à quel point le voyage fût aussi pénible pour eux que pour nous. Les cadres grafignés, des rayons tordus, des plateaux de vitesse brisés; rien qui ne puisse nous arrêter dans ce voyage. Les réparations seront effectuées avec les moyens disponibles; Duck tape, broche et autres bricoles! 

Nous avons aussi été surpris de voir celui qui devait nous prendre à l’aéroport et nous conduire au gîte où nous avions une réservation. Au travers de tous ces noirs aux traits prononcés ce trouvait un rastaman blond qui tenait une affiche où le nom de Geneviève était inscrit. Il s’agissait d’Hendry, le propriétaire du Bamboo guest house. Celui dont le visage ressemble à celui de Kurt Cobain ne porte plus de souliers ni de sandales depuis 5 ans. Dans sa bagnole anglaise de fortune, le Néo-Zélandais nous emmena dans son petit coin de paradis. Son attitude en révélait long sur le genre de vie qu’il mène. Chaque question qui lui est adressée est suivie d’une longue pause pendant laquelle il nous regarde avec un sourire qui transforme ses joues en obstacles pour ses yeux. Certain pensent que c’est par abus de drogues. Moi je pense plutôt que c’est par abus de sérénité.

-          - Je n’ai jamais vu de voyageurs avec autant de bagages, nous confia-t-il.


Au rythme des jours qui passèrent lentement, nous avons appris à vivre la vie de Fidji. Fiji time, comme ils le disent ici. Pendant près d’une semaine nous sommes restés chez Hendry et avons socialisé avec les voyageurs et les locaux qui y vivent. Juste assez pour se rendre compte à quel point notre Anglais était rouillé. Juste assez pour se faire quelques nouveaux amis. Nous avons préféré retarder notre départ à vélo, car la météo n’était vraiment pas de notre côté. Pendant 5 jours, nous n’avons jamais aperçu le soleil. La pluie déferlait continuellement. En Chine, la saison des pluies ne nous a jamais empêchés de traverser le pays d’Ouest en Est. Cette fois c’était différent. Nous avions beaucoup de temps pour couvrir peu de territoire et nous savions qu’à partir du moment où nous lancerions notre aventure sur deux roues, nous commencerions du même coup une misérable vie de chiens mouillés. Il valait mieux attendre. Mais les remords nous grugeaient petit à petit. Nous allions retrouver la force, c’était une question de temps. Nous allions rattraper le temps perdu, c’était une question de volonté. 

Chaque jour passé au gîte se faisait dans la facilité. On se laisse aller, on met tout au neutre; le corps et l’esprit. Pour certaines personnes c’est le mode de vie idéal. Pour d’autres, il y a plus. Geneviève et moi étions d’accord, il ne valait pas la peine de traverser la moitié de la planète pour manger, dormir et regarder passer les minutes.  L’inactivité nous tue. L’énergie s’accumulait en nous, sans être dépensée. L’élastique s’étirait. Qu’on nous coupe la corde, nous irions très loin.

Notre besoin d’aventure grandissait. Cela annonçait des nouvelles histoires rocambolesques.

 

2 commentaires:

  1. Merci de partager quelques moments avec vous! Tu es toujours aussi agréable à lire. Les photos sont superbes! Les gens semblent très sympathiques.
    XxxxxxX
    Marie-Hélène

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  2. J'ai bien hâte de voir où l'élastique tendu va vous mener une fois coupé ! :o)

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