mardi 19 octobre 2010

Fin


Vrai, notre voyage était presque terminé.  Alice au pays des merveilles devait retourner travailler. C’était la fin du rêve et une représentante de l’autre monde était venue nous l’annoncer.  Nous avions rendez-vous à l’aéroport de Katmandu par un après-midi radieux.  Sur un écran de la taille de mon IPod paraissaient les voyageurs fraîchement descendus de l’avion. Le regard fier malgré le décalage et le sac à dos qui pèse lourd, ils progressaient vers la sortie comme des enragés du boxing day.  La représentante de l’autre monde apparue.
-Annie !!! 
La grande sœur de Geneviève nous avait repérés. S’entamèrent des retrouvailles touchantes après une si longue absence.  Sur nos vélos, nous avions beaucoup de temps pour penser. Beaucoup de temps pour réfléchir sur le sens de la vie. Beaucoup d’heures à songer à ceux qu’on aime et ce qu’on leur dirait s’ils étaient présents. Lorsque le moment est venu, tout se bouscule dans nos têtes. On voudrait tout déballer de manière cohérente, mais cela fini par un « Viens je t’emmène manger la meilleure soupe tibétaine ! »
Annie était radieuse, sûre d’elle et prête à découvrir le Népal dans toutes ses beautés et ses horreurs. Elle avait l’habitude des voyages au tiers monde, nous n’étions pas inquiets de sa réaction face à ces millions de gens qui ont faims. Allons à la soupe tibétaine je disais… 

Nous avions les cartes. Nous avions la motivation. Nous avions de l’argent. Plein à craquer… Non, je déconne, mais nous avions tout ce dont il fallait pour aller explorer la région de Langtang. Nous avons alors entrepris de rouler en bus le dangereux chemin qui serpente, s’incurve, grimpe et plonge dans la chaîne de montagnes la plus imposante au monde. Une aventure routière des plus émouvantes sur des rythmes indiens hyper frénétiques. Les passagers, se laissant bercer par l’inertie obligée des forts virages, renvoyaient leur diner à qui mieux mieux en essayant de ne pas salir le sari des femmes qui s’entassaient à quatre à quatre sur des bancs défoncés.  L’horreur !  Je m’ennuyais de la route terne qui sépare Montréal de Québec.

Il y avait Annie. Il y avait Geneviève. Il y avait moi et il y avait Krishna, le cousin d’Hupendra, un ami Népalais.  Vêtu de son petit débardeur rose, Krishna nous accompagnait en tant que guide de montagne. Homme très populaire auprès de la gente féminine, nous avons vu défiler son harem qui venait le saluer au moment de notre départ.  Ceux qui connaissent bien la mythologie indienne ne seront pas surpris de le voir porter ce nom : Krishna, Dieu de l’amour et de la musique. Honnête détenteur d’un diplôme en anthropologie,  notre guide aurait pu nous dépeindre la culture Népalaise dans un assortiment de propos savants et scientifiques. Nous nous sommes contentés de plaisanter sur sa désinvolture et ses frivoles fréquentations.


Langtang est un lieu exceptionnel pour la marche en montagne. Pour s’y rendre, le trajet de minibus est extrême. De ce fait, ce haut lieu est protégé de toutes les exagérations touristiques possibles. Nous nous retrouvions presque seuls à progresser dans cette mystérieuse vallée luxuriante. A proximité coulait une rivière qui produisait des bruits légers.  Un lavage de cerveau hautement efficace pour retirer toutes formes de stress. Au petit matin, alors que le soleil se levait, une épaisse brume nous faisait douter que nous étions bel et bien éveillés. Geneviève et Annie marchaient devant et moi je les précédais. Chaque pas nous menait plus près de notre but : la base du mont Langtang qui domine la vallée avec ses 7200m. Nous  traversions alors de petits villages au gré des conversations.  Krishna se faisait plutôt silencieux, mais à chaque fois qu’il ouvrait la bouche c’était pour nous faire sourire. Nous avons beaucoup souri. Nous avons beaucoup écouté aussi. Écouté le vent froid qui sifflait dans nos oreilles. Écouté les centaines de cloches des yaks qui déjeunaient plus haut dans les montagnes. C’est lorsqu’on sait que la fin approche qu’on est le plus sensible à l’invisible. C’est pas moi qui l’a dit… c’est Jerry ! 

À quatre, nous avons marché plus d’une semaine afin de revenir au point de départ avec un sac à dos vide de nourriture, mais remplie de belles images et de beaux moments. Ce fût mission accomplie. Annie nous apparue dans une forme exceptionnelle, poussant même l’audace à marcher près de 12 heures par jour ! À 5000m d’altitude, le défi était de taille. Même le guide commençait à tirer la langue !

Voila. Dix jours sont vite passés au paradis. Attention, la descente est brusque. Retour à Katmandu. Vol pour Hong Kong. Transfer vers Taiwan. Catapultés vers New York et nous traversions les portes de l’aéroport de Dorval. Mes parents étaient là. Nos amis étaient là. Nous étions trop contents de les revoir. Et la phrase qui tue… beau voyage ? C’est exactement le moment où tu réalises que c’est véritablement la fin.

De retour à la maison, je fais le ménage dans mes bagages. Je retrouve des cailloux que des Vietnamiens m’ont lancés. Dans un sac, je retrouve des fleurs séchées que je reconnais être celles qui tapissaient la jungle Cambodgienne. Je respire le thé que je transportais depuis 15 000km. Je revois les photos des gens qui nous ont hébergés sur la route. Je réfléchie. Était-ce tout ce dont il me resterait à la fin de cette aventure ?
En 2009 Geneviève et moi n’avons pas acheté de voiture, ni de maison, ni de TV plasma, mais ce que nous avons acquis est indescriptible à celui qui n’ouvre pas ses yeux à ce qu’il y a de plus vrai. Il s’agissait de notre premier périple à vélo.  Une excursion au pays de la simplicité volontaire et de l’activité physique. C’était cela notre vie en 2009… Et si c’était ça la vraie vie ? 

FIN

Et maintenant que nous sommes à la maison depuis plus de 10 mois. Les mêmes questions reviennent souvent.
-Donnez-moi un point positif et un point négatif à propos de votre voyage.
Le point positif c’est que ce n’est pas le dernier.
Le point négatif c’est qu’on ne peut plus s’arrêter.

Geneviève Dupont et Pierre Martin
Pour un tour de 15 086 km en Asie