dimanche 22 novembre 2009

Ligne d'arrivée

La fin de la route ressemblait à un rêve. A l’approche de Hong Kong, tout ce qu’un cycliste pouvait espérer d’un paysage, le décor nous l’offrait. Malgré cette vie de pauvreté et de simplicité volontaire, nous ne manquions de rien. Depuis longtemps, nos cerveaux étaient dépendants à la dose journalière d’endorphine que nous leur fournissions. Pas de problème, l’activité physique fera toujours partie de notre quotidien. Pour les non-initiés, cette drogue naturelle est produite par l’hypophyse après un effort physique intense, une excitation ou par la nourriture épicée. Lorsque l’endorphine est produite, il en résulte une sensation formidable de bien-être. Ils avaient raison, la meilleure source de bonheur se trouve en nous. Laissez tomber le chocolat, venez faire du vélo avec nous !

Certains signes ne mentent pas. Le retour à la maison était éminent et il en était mieux ainsi. Depuis onze mois, nous avions fait un voyage risqué, mais sans accrochage et sans ennui majeur. Cela relevait du miracle compte tenu des habitudes de conduites asiatiques. Quelques kilomètres avant d’arriver à Hong Kong, une dame sur sa motocyclette s’est engagée sans regarder sur la route où nous roulions, frappant violemment Geneviève de côté. En se retournant pour regarder l’étendue des dégâts, notre maladroite avait oublié d’immobiliser sa moto et elle est venu me heurté, moi qui roulait un peu plus loin devant. Heureusement, cette démonstration de pilotage causa seulement quelques égratignures et un poignet foulé. Pour quelques jours, Geneviève dut conduire sa bécane d’une seule main ! Comme on dit : plus de peurs que de mal.

Tandis que notre dernier jour de vélo approchait, nos montures se transformaient graduellement en pièces de ferraille rouillée. Après 15 000 km, Geneviève roulait sur des roues de plus en plus tordues. Sur les 27 vitesses que mon vélo avait au départ, seulement quatre ou cinq fonctionnaient encore. Nous pouvions toujours avancer, c’était l’important. Il ne restait plus que quatre kilomètres à faire pour atteindre la destination ultime de notre voyage quand Geneviève a entendu le bruit caractéristique d’un rayon de roue qui se brise. Rien de problématique, nous avions déjà réparé une dizaine de rayons auparavant. C’est en se penchant plus près sur le problème que nous avons réalisé que ce n’était pas un rayon qui avait brisé, mais le moyeu de la roue qui était littéralement fendu. Le genre de problème majeur qui nous aurait retenus plusieurs semaines afin de commander une nouvelle pièce. Ouf ! Quelle chance ! Après 300 jours de vélo et 15 081 km, le bris mécanique était survenu la toute dernière journée, à 4 kilomètre de notre arrivée ! Incroyable ! Nous étions bénis des Dieux.

Le temps d’une photo pour immortaliser le moment, nous étions à la ligne d’arrivée de notre long périple. Après 1000 heures à pédaler, nous y étions. Je ne savais pas trop qu’est-ce qu’on pouvait dire à la fin d’une telle aventure. Je voulais remercier Geneviève d’avoir été une si bonne compagne. Après avoir réussit ce défi avec elle, j’avais le sentiment que notre couple n’avait jamais été aussi fort. Nous étions dans la même équipe plus que jamais. Nous avions appris énormément sur nos forces et nos faiblesses. Cela aidait à affronter tous les obstacles. Le bilan du voyage ne pouvait qu’être positif… mais je préférai me taire. Le sentiment était trop étrange pour l’exprimer avec des mots.

Nous avons entreposé les vélos chez un bon samaritain et nous avons embarqué sur un vol qui nous menait au Népal. C’était la fin d’une époque. La fin d’une belle aventure. Nous volions en direction des montagnes avec des projets et des rêves plein la tête. Nous n’étions pas prêts de nous arrêter. Ce n’est pas une question de chance, mais un choix de vie. Pour nous, ça s’appelle vivre…

samedi 7 novembre 2009

Destination finale : Hong Kong !

Les dernières semaines avaient été rudes sur ma carcasse de voyageur. Alors que je m’étais débarrassé de mes béquilles, un virus me pris et tira toute l’énergie que mon corps possédait. Une semaine de fièvre, quatre jours au lit et la vigueur d’un ours qui sort de son hibernation. Les scientifiques donnent un nom à ce virus : H1N1. Les joueurs de Scrabble préfèrent l’appeler influenza. Pour ma part, j’ai compris pourquoi tant de gens sont décédés de la grippe espagnole, un virus qui revient à la mode aujourd’hui.

Les parents de Geneviève nous avaient quittés et nous nous retrouvions à nouveau seuls au milieu de Shanghai. Seuls… avec nos vélos. La liberté d’aller où nous voulions pour les trois mois suivant. La liberté… Allo !? … la liberté ! Normalement, ces trois syllabes suffisent pour allumer l’étincelle au cœur de tout bon aventurier. Pour Pierre et Geneviève, il n’y avait plus de réponse au numéro composé. Hélas, après neuf mois lâchés lousses dans la nature, nous avions épuisé la majorité de nos fantasmes d’aventures. Nous nous retrouvions au dépourvu devant tant de possibilités et si peu de motivation. Repartir sur de longues routes ? L’envie n’y était plus. La vie de routard sur deux roues qui nous excitait tant au départ était devenue routine. Une routine qui avait perdu de la couleur de jour en jour. Presque à chaque jour, nous étions à penser à notre retour au Québec. C’était clair, il nous fallait redessiner le portrait de la fin de notre long voyage.

Nous regardions la carte du monde à la recherche d’un nouveau terrain de jeux. La Chine islamique, côté Xinjiang nous intéressait. Par contre, le cyclotourisme dans cette province éloignée se traduisait par des semaines intensives de vélo sur des territoires hostiles. Des kilomètres et de kilomètres à traverser les plus grands déserts de Chine. Certes, un beau défi, mais nous avions déjà donné beaucoup d’énergie dans la catégorie des défis ! La Mongolie offrait sa part d’attrait, mais à l’approche de l’hiver, il nous faudrait mettre des pneus à neige sur nos vélos ! Le camping dans la neige au milieu de la steppe exposé aux vents Sibériens nous laissait imaginer d’affreuses histoires. Nous avions exploré l’étendu du possible ; Philippines, Japon, Singapour, Malaisie… et regardé ce qu’il reste dans le fond de nos poches. La banque ne permettait plus trop de folies. Malheureusement, nous étions deux cyclistes fauchés qui devaient plutôt être en train de travailler comme tout le monde, mais qui s’obstinaient à parcourir le monde avec un budget qui frôlait le ridicule. Ce que nous cherchions ; une route facile et colorée dans un pays où la vie est simple et gratuite. C’est en regardant les photos de voyage de Fransesco et Romina que la solution m’apparu.

Les aiguilles blanches qui perçaient le ciel bleu illuminaient les visages bronzés de nos deux amis sur leur tandem, perdus quelque part au moyen orient. Des sommets enneigés qui réveillaient un sentiment fort : l’appel des montagnes… l’appel de l’air frais. A ma connaissance, il y avait bien un endroit pas trop loin qui pouvait assouvir notre soif des hauteurs. Un endroit qu’on nomme Népal !

Notre voyage prenait alors une nouvelle tangente ! Geneviève était motivée par la nouvelle proposition. Une finale de rêve dans les Himalaya ! Jamais nous n’avions pensé visiter ce sanctuaire de la montagne au cours de ce périple, mais nous nous laissions guider par nos instincts. La fin de notre route ne se ferait pas à vélo, mais à pied !

Nous nous trouvions environ à 4000 km à l’Est de Katmandu. Pas question de pédaler la Chine à nouveau en sens inverse ! Nous avons plutôt décidé de voler Hong Kong – Katmandu. Rien de trop beau vous en conviendrez ! Nous étions comme deux enfants qui attendent le Père Noël… trop excités dans l’attente. Cependant, avant de déballer notre beau cadeau, il nous fallait bien pédaler les 3000 km qui nous séparaient de Hong Kong. De la petite bière… quand on sait que le Père Noël arrive !

Dans une forme physique relativement mauvaise, nous avons repris la route. Les blessures, les virus et la vie (trop) confortable à voyager d’hôtel en hôtel en transport motorisé nous avaient ramolli le corps. Nous avions alors orienté nos vélos de manière à longer la côte Est de la Chine sur toute son arête. Nous voulions voir l’océan ! Nous allions traverser les provinces de Zhejiang, Fujian et Guangdong ; les territoires les plus riches et industrialisés du pays communiste. On nous avait prévenus ; préparez-vous à découvrir les pires horreurs industrielles. Nos observations furent à la fois surprenantes et dégoutantes. Des usines qui s’étendaient comme des forêts, des routes larges comme des fleuves, des cieux couverts par des fumées grisâtres qui tentaient de se déguiser en nuages, mais qui étaient démasqués par leur puanteur. Shell, Goodyear, China Plastic Industries, Volkswagen ; eh oui, les grands pollueurs de cette planète s’y rassemblaient, monopolisant le bord de la mer comme un groupe de Québécois qui débarque à Forth Lauderdale. Pas moyen d’atteindre l’eau, la côte est une zone industrielle protégée, contrôlée… interdite. Nous apprécions seulement les camions entrer et sortir de cette nouvelle Citée Interdite chinoise. Je me demandais : Pourquoi est-ce mieux de construire les usines au bord de la mer ? Peut-être que c’est plus facile de distribuer ses produits à l’étranger… peut-être que c’est plus facile de se débarrasser de ses déchets toxiques ? Dans un pays où il semble y avoir ni lois ni règles, les anarchistes milliardaires chinois sont aux anges. Fuir. Fuir cette région qui n’était définitivement pas faite pour le cyclotourisme. Sur quelles routes nous étions nous lancés encore une fois ?

Notre progression vers le sud nous mena ensuite sur les chemins montagneux de la province du Fujian. La population y était moins dense et les paysages plus beau. Le bord de la mer était maintenant rendue disponible par de magnifiques plages découpées par des falaises pittoresques. Nous n’avons pas manqué d’y planter notre tente à maintes reprises ! Afin de soigner notre solitude, nous avons aussi participé à la communauté de Couch Surfing. Cette organisation basée sur le web permet aux gens d’offrir un espace pour recevoir des voyageurs. Que ce soit sur un lit, sur un plancher ou un divan, les voyageurs peuvent s’y poser quelques nuits en échange de discussions intéressantes et de nouvelles amitiés. Nous avons souvent dormis chez les habitants qui nous ont fait découvrir la vie dans leur municipalité. L’expérience est inoubliable ! Si vous êtes intéressés à ouvrir vos portes et vos horizons vous aussi, visitez www.couchsurfing.org pour plus d’information. Tout est gratuit, sécuritaire et sympathique !

Plus la fin du voyage arrivait, plus le temps semblait s’accéléré. Quand je me surprenais à penser que, bientôt, nous serions de retour au Québec, je regardais autour de moi et l’envi me prenait de prendre 400 photos du paysage, des habitants et des nuages. L’envi de dire aux gens qu’on rencontre sur la route qu’on est heureux d’être là avec eux. La vie sur la route me manquerait, c’est certain ! Au même moment, nous profitions de la proximité de la mer pour nous offrir, presque chaque soir, un festin en règle de fruits de mer. Pour une somme ridicule, nous mangions comme des grands seigneurs. C’est en dégustant des crevettes fraîches et en regardant les vagues se briser sur le flanc d’une falaise rocheuse que je repensais à mon enfance passée au bord de l’océan. L’eau est une source d’énergie pour moi. La vision de la mer rechargeait mes batteries.

Nous avons ensuite rejoint la province du Guangdong ; la dernière ! Le Guangdong était un vrai paradis du cyclotourisme ! Des petites routes cimentées longeaient de longues plages désertes en traversant des forêts qui sont encore vierges aujourd’hui. Nous traversons des villages de pêcheurs et profitons de nos derniers instants en Chine. Le Mandarin avait alors laissé la place au Cantonais, ce qui rendait certaines discussions plus ardues. Retour au langage des signes ! Après plus de 300 jours à vivre dans nos bagages et près de 15 000 km roulés, nous nous étions parfaitement adaptés à la vie sur la route. Monter la tente, cuisiner le riz et entretenir les vélos se faisaient machinalement sans penser. L’expérience était réussit ; nous étions devenus de vrais nomades.

Dans un bordel de construction typique aux grosses villes de la Chine, nous avons rejoint le poste de douane de Hong Kong. Il n’y avait plus qu’à s’y présenter et la Chine serait derrière nous ! Nous avions peine à y croire ! Comment était-ce possible que cette aventure avait une fin ? C’était comme si nous allions nous réveiller d’un rêve et que, finalement, notre route allait se poursuivre sur des mois et des années. Hélas ! Le 2 octobre 2009, nous quittions le pays qui nous avait tant fascinés pendant plus de 5 mois. La fin d’un chapitre… mais pas la fin de l’histoire encore !