lundi 21 mars 2011

Chasse au Kangourous et Autres Activités Quotidiennes

Le chien qui aboyait ne faisait pas tellement peur en comparaison avec son maître qui affichait un look qui semait la terreur. Trop tard, l’homme nous avait aperçus. Plus question de rebrousser chemin. Premièrement, nous aurions l’air de nous sauver comme des malfaiteurs. Ce n’était pas le moment de se faire des ennemis. Deuxièmement, nous étions pris au milieu des plaines et nous avions désespérément besoin d’eau. Voilà, il n’était donc plus question de reculer. 

-          How ya doin? Lançai-je en rassemblant toute la virilité possible. C’est peut-être une façon de montrer qu’on est dans la même équipe. Je ne sais pas…
 
L’homme déposa ses outils et s’avança plus près. Son corps était recouvert de tatouages. Sa longue barbe blanche s’étirait sous un visage aux traits allongés; comme si le poids de sa pilosité avait accentué l’effet de la gravité sur son visage. Geneviève, de son côté, étirait son plus grand sourire; une stratégie reconnue lorsqu’il s’agit de mesuré le niveau de sympathie d’un interlocuteur inconnu. L’homme n’avait visiblement rien à faire de nos politesses. Nous allâmes donc directement au but:

-          Some water please.

L’homme avait de l’eau de pluie à nous offrir. Sauvés! Mais ce n’était pas tout, il nous invita à l’intérieur pour prendre le thé. Première réaction : « non merci », mais non étions épuisés et une petite pause ailleurs qu’au milieu des plaines était désirée depuis plus de deux heures. Nous avons donc accepté. Pendant que l’eau chauffait, il nous raconta sa vie d’une manière très crue et directe. Il s’agissait d’un ancien motard criminel. Après plusieurs années en prison, il s’était recyclé en père de famille d’accueil monoparentale. Marié à une prostituée, divorcé et séparé des groupes de criminels, il se terrait au milieu de la plaine en quête de quiétude. Cette cabane au centre de nulle part, était un milieu d’accueil de dernier choix pour les jeunes délinquants; Une dernière chance pour les jeunes de ne pas devenir des enfants de la rue. Victor, de son prénom, avait eu un drôle de parcours de vie, mais son discours faisait du sens. Sa façon peu orthodoxe de remettre les jeunes délinquants sur la bonne voie ne ferait pas l’humanité, mais elle était efficace. Il jouait essentiellement sur des sentiments forts pour apprivoiser les jeunes; adrénaline, peur et sentiment de réussite. Par exemple, il apprenait aux jeunes comment devenir de meilleurs chasseurs de cochons sauvages, une chasse très périlleuse. Nous comprenions le concept, mais Victor, notre hôte, semblait en douter. Il lança donc la carabine dans la jeep de brousse et nous invita à faire l’expérience nous-même. Ok-doo-ké!
 
Nous sommes partis loin dans la brousse. Et nous sommes allés encore plus loin. Victor au volant de sa jeep modifiée, moi assit sur le toit de la voiture avec la carabine en main et Geneviève du côté passager avec une lampe articulée pour repérer les lapins, renards, cochons sauvages et kangourous. Il nous avait bien prévenus; on ne tue seulement que pour manger. Il faudra donc rester pour souper… Éric Maranda pourra en témoigné, je suis un très mauvais tireur. Nous avons vu des centaines de Kangourous, mais nous avons seulement rapporté un pauvre lièvre. Malgré cela, l’expérience dans la brousse fût mémorable. Victor investit beaucoup d’effort pour nous faire découvrir son paradis. La majorité des gens n’y aura vu qu’un insipide territoire plat et vide de vie à perte de vue. Après notre chasse, notre vision de la plaine avait changé. Il y avait beaucoup à découvrir si lorsqu’on s’éloigne de la route. 
 
Nous avons ensuite passé la nuit chez Victor. Lorsque je suis tombé sur son livre de poésie, celui-ci devenu extrêmement timide. « Je suis illettré », me confia-t-il. Mais il convenu tout de même de me faire lire quelques dans sa chambre supposément hantée. Je n’ai pas trop compris son histoire d’esprits maléfiques et de piano qui joue la nuit, mais nous avons remarqué l’insalubrité des lieux. Des crottes de rats partout dans le lit, des tâches rouges et jaunes sur les draps, des toiles d’araignées sur les murs et une odeur de cadavre dans la pièce. Nous aurions préféré notre bonne vieille tente dans la brousse, mais notre présence faisait visiblement le bonheur de Victor et nous ne voulions pas le décevoir en refusant son hospitalité.

Au petit matin, alors que nous faisions les adieux, une drôle de coïncidence survint. Un jeune homme avec son sac à dos se présenta chez Victor pour demander de l’eau. Le jeune auto-stoppeur venait de se faire laisser devant la maison. Nous reconnaissions chez lui les mêmes appréhensions en approchant Victor, mais nous l’avons rassuré. Notre séjour chez Victor figurait parmi les plus belles aventures de notre voyage. Preuve qu’il ne faut jamais juger les gens par leur apparence. On retrouve souvent chez les mal-aimés de la société plus de générosité qu’on en trouve dans la totalité de Westmount. 
 
Après un voyage difficile pour sortir des plaines, nous avons rejoint  quelques petites municipalités. Le temps de se refaire une beauté (prendre une douche) et de se reposer du vent de face qui nous accablait depuis quelques jours. Nous sommes atterris sur ce terrain de camping qui accueillait une fête pour un régiment de la Navy australienne. Geneviève remplie sa mission avec succès : elle utilisa ses charmes pour s’introduire dans le méga BBQ masculin. Ainsi, elle nous rapporta un festin de viande à la tente. Qu’ils sont bêtes ces hommes!
 
Ce festin fût vite digéré et brûlé, car le lendemain nous avons enchaîné avec notre plus longue journée de vélo du voyage : 135 km au travers d’un décor toujours aussi répétitif et monotone. Pour couronner le tout, une myriade de mouches noires nous collait à la figue comme si nos narines produisaient du nectar sucré. Même à 30 km/h, il y avait une rotation de cinquante bestioles autour de nos yeux, narines et oreilles. Même le Dalaï Lama aurait pété les plombs. Nous avons tout essayé pour s’en départir, même les moyens les plus ridicules.
 
Un jour, nous sommes arrêtés dans un village de la taille de Ste-Irène, divisée par cinq. Un calcul rapide donne une population d’environ 75 habitants. Le genre de destination qui ponctue chaque journée de vélo. Il n’y a généralement rien à visiter, rien à manger et rien à faire. Mais cette fois, c’était différent. Les éternelles caravanes s’étaient transformées en tentes et les chaises de plages étaient devenues de vélos de course. Les campeurs avaient échangés leur six-pack de bières contre un six-pack de muscles. Nous étions déboussolés. Nous avons alors compris que le village était l’hôte d’un important triathlon australien. Des athlètes olympiques y participaient! Petite anecdote, une femme nagea son 1500 m sous la barre des 15 minutes. En eau libre c’est peu dire! C’est que les inondations du Nord-Est du pays avaient remplis les rivières du Sud. La natation se faisait donc avec l’aide du courant qui se déchaînait vers la ligne d’arrivée!

Vous le savez tous, l’Australie fût victime de nombreuses catastrophes dans les derniers mois. Sécheresses, inondations, ouragans, tremblement de terre, etc. C’est ce que l’on montre sur les chaînes de télévision partout dans le monde. Ici, sur la route, nous vivons les contrecoups de tous ces désastres. La nature est débalancée. Cela est visible. En quelques jours seulement, nous traversons des zones infestées de coquerelles, sauterelles, maringouins, escargots et mouches noires. Le pire? Les sauterelles, sans aucun doute! Une mention d’honneur à Geneviève qui a pris son courage à deux mains et a pris une douche enfermée avec un millier de sauterelles qui sautent dans toutes les directions et qui mordent la peau. Dans la tente, les insectes qui frappaient la toile donnaient l’impression qui y avait une tempête de grêle à l’extérieur. Une scène de film d’horreur…

Sous une note un peu plus positive, nous avons pénétré dans une région reconnue internationalement pour ses vignobles. Notre initiation à la dégustation se fît par un beau matin froid. Nous avions les mains gelées alors nous avons bifurqué vers un vignoble. Je sais, l’excuse était facile! 9h30 am et nous étions déjà dans les Portos et les Shiraz forts. Les propriétaires du vignobles avaient pris soins de nous préparer des amuses gueules de toutes sortent afin d’apprécier tous les différents goûts qu’ils avaient à nous faire découvrir. Nous en sommes ressortis réchauffés et Geneviève parlait déjà plus fort. Heureusement, notre conduite sur deux roues n’était pas trop affectée!
 
Un peu plus loin, une chocolaterie nous a ouvert ses portes pour nous servir un chocolat chaud qui devrait être illégal. Le contenu de la tasse était plutôt du chocolat pur et fondue comme pour en faire une fondue. Les veines pleines de sucre, nous sommes repartis pousser sur nos pédales. Ouf!
 
Encore un peu plus loin, un pomiculteur nous attendait avec des cidres et des bières artisanales. L’homme, qui se donnait des airs d’artiste-hippy-zen en profita pour pousser quelques blagues racistes à l’endroit des Canadiens et Américains. Enfin, nous avons bien aimé sa bière noire à base de pommes. En effet, même les personnes les plus insignifiantes peuvent produire des bonnes choses!
 
Tant de bouffe et d’effort sont plutôt dures sur le corps. Nous nous couchons tous les soirs très fatigués. Malgré le confort très limité de notre tente, il n’est pas rare de dormir plus de 10 heures par nuit. Il nous est même arrivé de commencer la nuit à 6h30! Un record que même mon père aura du mal à battre!

Notre arrivée dans le désert de sel marqua définitivement la fin de notre séjour dans les plaines. Nous approchions de notre destination intermédiaire : Adelaïde. Là-bas, des amis Australiens nous attendaient pour nous faire visiter leur petit paradis. David et Kayleen nous avait prévenus, il faudra passer plusieurs jours  en leur compagnie pour faire le tour de leur terrain de jeux. Nous avions hâte. La première moitié de la traversée de l’Australie tirait déjà à sa fin. La seconde s’annonçait encore plus excitante!

mardi 8 mars 2011

Voyage sur les Plaines

Pour ce qui est du travail devant un ordinateur, on suggère que l’usager prenne quelques minutes de repos à chaque heure de travail. C’est mieux pour reposer les yeux. J’ai une nouvelle théorie. Pour ce qui est du travail en général, je suggèrerais que l’homme prenne quelques mois de vacances à chaque année. Pas pour faire n’importe quoi; pour faire de l’exercice à temps plein. C’est mieux pour le corps. C’est maintenant prouvé. Tous les petits maux qui me gênaient avant le départ sont maintenant disparus à force de bouger et de limiter le stress au maximum. On cherche des sujets pour compléter notre expérimentation. En attendant, nous vivrons le prochain dans la nature. Nos cristallins pourront se détendre un peu. Les paysages seront à perte de vue semble-t-il.

La première journée de vélo en Australie incluait deux imposants défis : sortir de la capitale et escalader le dénivelé total des Montagnes Bleues. Le premier est un défi pour le cerveau, le second, un défi pour les cuisses. Il fallait être polyvalent pour en sortir gagnant. Nous étions désormais habitués à la conduite à gauche et il n’y avait plus qu’à suivre les indications (notées approximativement à minuit la veille). Nous sommes sortis de la ville sans embuches, sans histoires. Les montagnes n’allaient pas être aussi faciles.

Les Montagnes Bleues forment un massif qui couvre le Sud-Est de l’Australie. Elles s’élèvent et forment un demi-cercle autour de la capitale comme le Bouclier Canadien autour de Québec.Très bien. Un peu de vélo en altitude ne pourrait nous faire de tort. Nous sommes partis sans trop savoir à quoi s’attendre. Dès les premiers mètres de l’ascension, plusieurs cyclistes nous dépassèrent comme si nous étions arrêtés. L’autoroute qui grimpait sur un dénivelé de 1000m servait de piste d’entraînement pour les cyclistes australiens. Il s’agissait des derniers vélos que nous avons croisés pour les milliers de kilomètres qui suivront.
Le réseau de transport australien est très différent de tout ce que nous avons connu auparavant. Les vélos circulent librement sur les autoroutes les plus importantes du pays. Malgré les voitures qui circulent à 120 km/h, on y retrouve une piste cyclable qui occupe une partie de l’accotement. Un peu effrayant au départ, mais on finit par s’y faire. A chaque engin qu’on entend s’approcher, on prie pour que le conducteur ne soit pas endormi derrière le volant. Une distraction, quelques mètres à gauche et nous serions morts. Le cerveau focus sur le danger et non sur la douleur de la grimpe. On appelle cela changer le mal de place…

Nous y étions presque. Le sommet était devant nous et Geneviève fût frappée par un malaise. Un semblant de déjà vu; le dîner ne passait pas. Nous avons donc fait quelques pauses santé afin de purger le méchant. Je ne sais pas comment, mais elle compléta quand même l’ascension. Bravo!
En effet, il s’agissait de notre première expérience de cyclotourisme dans un pays où le coût de la vie est aussi élevé. Nous ne savions donc pas où nous allions pouvoir passer nos nuits entre les journées de vélo. L’hôtel n’était plus une option. On nous a avertis qu’on ne pourrait probablement pas profiter de l’hospitalité des gens sur la route non plus. Il fallait une solution. La voici : les caravan parks. Nous passer maintenant nos nuits entre deux gros campeurs habités par des monnoncles et des matantes venus boire de la bière autour de BBQ géants. Ce n’était pas notre tasse de thé, mais nous avons vite compris que c’était la seule façon d’avoir accès à une douche et une table à piquenique. Pour 20$, nous avons généralement accès à une piscine et une cuisine tout équipée pour cuisiner. Pas le paradis… mais presque. Chaque soir, nous discutons avec nos amis les caravaniers. Nous leur expliquons notre trajet, notre vision du voyage. Les gens semblent apprécier nos histoires, car ils nous gratifient généralement avec quelques bières. Youpi! Un soir, nous avons fait la connaissance d’un couple venu de Grande-Bretagne qui nous a pris en pitié. En voyant les tristes pâtes aux tomates qui composaient notre souper, ils se sont chargés de nous cuisiner de bons légumes! En général, les gens que nous rencontrons sont très sympathiques et très relax. C’est probablement une raison pourquoi les voyageurs aiment l’Australie. Les gens qu’on rencontre semblent tous être en vacances. Chaque discussion se termine par un no worrie –pas de soucis– lancé avec nonchalance.

Le 17 février arriva et Geneviève fêta ses 26 ans. Nous avons profité de cette occasion pour prendre un repos dans les montagnes et cuisiner un gros BBQ. Nous étions alors dans un village qui offrait une vue magnifiques sur les three sisters, une formation rocheuse qui rappelle les paysages de l’Ouest américain. Nous avons alors fait une longue balade au bord d’un énorme précipice, traversant torrents et ruisseaux. Le soleil était de la partie. Pas un nuage dans le ciel. Une journée d’anniversaire parfaite! Nous étions seulement deux, mais Geneviève fût extrêmement contente de lire tous les messages de « bonne fête » envoyés par ses nombreux amis. Vous auriez dû la voir pédaler après avoir reçu toute cette énergie!

Nous avions traversé les montagnes et avancions lentement mais surement vers les High Plains, un plateau aussi plat et étendu que les prairies canadienne. En général, le voyageur qui s’apprête à traverser les prairies est au courant de ce qui l’attend : un paysage grandiose et répétitif. Nous n’avions aucune idée de ce qui nous attendait en traversant le Sud-Est de l’Australie. Des milliers de kilomètres carrés de plaines arides s’enchaînent à perte de vue. Les arbres les plus grands ne dépassent pas 30 cm. Après quelques centaines de kilomètres à rouler sur une ligne droite au travers ces plaines, un sentiment étrange apparaît. On ressent le danger d’être pris là, au milieu de nulle part. Un réflexe qui protège l’humain contre toute tentative de s’enfoncer trop loin hors de la civilisation. Sur nos vélos, ce sentiment de danger se transforma en adrénaline et la cadence augmentait sans trop s’en rendre compte.

Malgré le paysage dramatiquementdésertique, nous avons passé quelques oasis où poussaient des arbres à fruits. Il suffisait d’être attentif pour y trouver des pommes, des oranges, des pêches, des figues, des raisins et des poires qui poussent à l’état sauvage. Je me souviendrai toujours de cette pause sous cet arbre où des centaines de pêches poussaient. C’est gratuit et à volonté. Combien pouvez-vous en manger après 100 km de vélo? Impossible de tenir le compte!

C’est aussi en traversant ces plaines que nous avons reçu un avertissement venant de la météo. Pour que la traversée soit agréable, il fallait absolument avoir un vent de dos. Un vent de face nous retenait à 12 km/h toute la journée, même en y investissant l’énergie du désespoir. Le vent était plus fort que nous. Il fallait que notre itinéraire tienne compte de ce facteur.

Lorsque, tout heureux, nous traversions de petites agglomérations de quelques centaines d’habitants, c’était pour y découvrir des villages semi-abandonnés. La rue principale était généralement déserte et on y rencontrait des cowboys aux allures typiques des films de Clint Eastwood. Lorsque nous avons passé dans le village de Grenfell, un homme s’approcha de moi. Je crû pour un instant qu’il voulait me lancer un duel. Pendant que je cherchais mon Remington dans mes bagages, celui-ci mon fît comprendre qu’il était le journaliste de la municipalité. Il voulait nous interviewer pour le journal local. Nous avons donc répondu aux questions que nous avons pu comprendre. Un cowboy est un cowboy. En Australie ou au Texas, tout cowboy qui se respecte se doit d’utiliser une prononciation approximative et une sonorité nasale. De la musique pour nos oreilles!

De retour dans les plaines, nous étions complétement stupéfaits de rouler sur un étendu aussi démuni de toute vie. Heureusement, il y avait toujours un petit village tous les 100km pour nous aider à conserver notre motivation. Par contre, il y avait une erreur sur notre carte. Un village indiqué sur papier n’existait plus dans la réalité. Un détail qui fît en sorte que nous manquâmes d’eau. Aucun signe de vie sur des dizaines de kilomètres et nous avons trouvé cette petite maison cachée derrière quelques arbustes etquelques voitures abandonnées. Les chiens alertèrent le propriétaire qui s’avança d’un pas lent. L’homme n’était visiblement pas un enfant de cœur. Pour un instant, nous avons regretté d’avoir arrêté dans cet endroit.
A suivre…