lundi 31 août 2009

Express pour Shanghai (2e partie)

Guanxi

Les montagnes et la pluie du Yunnan, comme toutes les choses de ce monde, ont un début et une fin. C’est en atteignant le Guanxi, province voisine, que nous avons atteint les limites de ces deux sources d’ennuie qui, quelque fois, nous paraissent éternelles. Nous avons alors apprécié le soleil qui avait disparu depuis trop longtemps. Un répit qui nous permet de mettre des vêtements secs pour la première fois depuis 10 jours et 10 nuits! De même, la Terre était redevenue ronde sous nos roues et nous pédalions désormais sur des routes bien plates, quel bonheur !

Le Guanxi partage une longue frontière avec le Vietnam. Cette proximité est flagrante par la similarité des paysages. Des petites collines aux formes excentriques qui ont poussé sur des terres ultra-fertiles. Parfois, il est possible d’entendre des conversations dans une langue qu’on devine être du Vietnamien.

Un jour, alors que nous avions fait une courte escale dans une grande cité, un homme véreux vola l’ordinateur de vélo à Geneviève. Voyant que l’objet ne lui était d’aucune utilité, il s’empressa de venir essayer de nous le vendre… se dénonçant du même coup ! En m’exprimant son irrésolution à me rendre l’objet pillé, la discussion tourna rapidement en empoignade. Grabuge qui attroupa un nombre assez suffisant de curieux pour convaincre notre bandit que tout était perdu pour lui. Décidément, le Vietnam n’était pas trop loin !

C’est quelque part au Sud Ouest de la Chine que nous avons franchit une étape importante pour les cyclotouristes que nous sommes : 10 000 km !!! Nous étions fiers de se que nous avions accompli en 6 mois de vélo. C’est devant une vieille maison de campagne en brique que nous avons fêté l’événement avec ce qu’il faut pour être heureux en ces cas-là: un festin de mangues et de litchis frais! Les fermiers autour semblaient bien hébétés de nous voir célébrer je-ne-sais-quoi au milieu de nulle part ! Nous avons alors repensé à tous les efforts que nous avons investis pour se rendre où nous étions. Sans doute, nous avions changé d’idée sur ce qui nous paraissait inconcevable de réaliser au départ. Quel sera donc la distance totale de notre longue route ? Où le hasard nous mènera dans les prochains mois ? Des questions auxquels nous avons peu de réponses…

Un jour, alors que je roulais devant Geneviève, je m’arrêtai au bord de la route pour faire le plein d’eau. Lorsque je repris la route quelque secondes plus tard, j’attendis Geneviève, mais jamais je ne la revis… elle avait disparut ! Je ne la voyais ni derrière ni devant. Le plus ennuyeux c’est que je ne me souvenais plus exactement la dernière fois que je l’avais aperçue. Je me résolu donc à rebrousser chemin pour aller la rejoindre. Elle devait probablement être retenue par une crevaison. Presque chaque jour nous sommes gênés par des débris sur la route qui transpercent nos pneus. Je roulai donc en sens inverse sur plus de 10km. Toujours pas de nouvelles… J’arrêtai donc dans un village pour demander si quelqu’un aurait vue une cycliste sur un vélo qui ressemble à un vaisseau spatial.
-Pas vu…
-Pas vu…
Je stoppai même les camions.
-Pas vu…
-Pas vu…
-Oui, me confia un vieux bonhomme sur son tracteur, elle se trouve dans la direction opposée, à 15 km devant. Il m’indiquait du doigt la direction où j’avais pris l’eau.
Je retournai donc vers le point où je m’arrêtai pour prendre l’eau... En chemin, je continuai de demander aux gens. Contrairement au bonhomme dans son tracteur, personne n’avait vu Geneviève. Or, il faut savoir qu’en Asie, une information donnée par une seule personne ne vaut rien. Il faut toujours confirmer par une source différente. « Je ne sais pas » est une réponse qu’on entend rarement ici. Souvent, les gens prétendent savoir pour ne pas perdre la figure.

De retour au point de disparition, toujours personne n’avait vu passer Geneviève. Il était donc bien peu probable qu’elle soit devant moi ! Elle devait vraisemblablement se trouver derrière moi, mais plus loin ! Je retournai donc une seconde fois en arrière. Cette fois avec la résolution de dépasser mon bonhomme sur son tracteur et de faire au moins 15km pour la retrouver. Toujours rien. Seulement les regards amusés des gens qui me voient passer et repasser sur la même route tel un Sherlock Holmes à l’ouvrage. Ma deuxième tentative de retour en arrière fût inutile. Cette fois, il n’était plus question de revenir en arrière. Geneviève devait finalement se trouver devant tel que le disait le bonhomme.

Geneviève est une grande fille, elle peut très bien se débrouiller sans moi ! Nous nous rejoindrions donc à Yanshuo, où il était envisagé de se rendre. Cette journée-la nous avions prévu parcourir 110 km. Cependant, avec les 50km que je venais d’ajouter à mon compteur en tentant de trouver Geneviève, je doutais que je puisse rejoindre Yanshuo? Néanmoins, il fallait s’y rendre, sinon retrouver Geneviève serait devenue très compliqué.

Je repris donc la route seul en m’imaginant les histoires les plus farfelus, les histoires les plus abracadabrantes et, finalement, les histoires les plus horribles. C’est avec nervosité que je poussais sur mes pédales. Même si je me rendais à Yanshuo, ville de la taille de Québec, comment est-ce que je retrouverais Geneviève ? Je me rappelai alors que, la veille, elle avait parlé d’une auberge jeunesse où il serait possible d’aller. Mon plan était simple : me rendre à cette auberge et lui écrit un email. Si à la tombée de la nuit je demeurerais sans réponse, j’avertirais la police.

Enfin, à mon arrivée à l’auberge je retrouvai Geneviève, les larmes aux yeux ! Lorsque je m’étais arrêté pour prendre de l’eau, elle m’avait dépassé sans m’apercevoir ! Toute la journée, elle fît une course folle pour tenter de me rejoindre, croyant que j’étais devant. Les vendeurs de fruits au bord de la route, tous ignorants qu’ils étaient, lui indiquaient que j’étais tout près devant. Bref, nous avons passé une journée bien angoissante, sans manger et, de mon côté, je venais de faire 150km en un temps record ! Moral de cette histoire : toujours croire les vieux bonhommes sur leur tracteur, mais pas les vendeurs de fruits !

Accompagnés de trois cyclistes chinois que nous avons rencontrés sur la route, nous avons roulé vers le Hunan. Plus que trois autres provinces et nous serions à Shanghai !

mardi 4 août 2009

Express pour Shanghai

Je ne me souviens plus trop de la raison pour laquelle nous nous sommes engagés dans une telle aventure. Je ne sais pourquoi une telle bravade nous a intéressés. Cependant, lorsque la famille de Geneviève nous annonça quelle souhaitait venir nous visiter à Shanghai, nous avons dessiné un itinéraire de 3500km qui nous mènerait à leur rencontre dans l’Est de le Chine. Disposant de 40 jours pour traverser un pays montagneux qui s’étend sur des milliers de kilomètres, nous étions visiblement devant un défi de taille. C’est probablement pour cela que l’idée nous charmait.

Cette course folle vers la Chine urbaine était destinée à nous faire traverser 5 provinces. . Ainsi, chaque province offre un spectacle bien différent de leurs voisins, chaque canton parle son propre langage, chaque contrée sert sa propre (pas toujours propre !) nourriture locale. Un périple, où nous avons salué rapidement une diversité culturelle fantastique. Il aurait fallu y passer des années pour bien comprendre la vie qui s’agitait autour de nous. Pourquoi tant de pauvreté ? Pourquoi tant de richesse ? Pourquoi ces Chinois, tels de bons païens, nous reçoivent avec tant de gentillesse et obligeance ? Nous pédalions trop vite pour saisir le sens de ces circonstances. Tant de territoire à relier sur nos vélos… trop peu de jours nous avions pour vagabonder dans les campagnes. Allons-y ! Voici donc un résumé de cette épreuve fort déraisonnable, mais remplie de péripéties. Une étape qui nous taxa une quantité colossale d’énergie !

Yunnan

Le 26 Juin, nous étions en train d’attacher les bagages sur les vélos après plus d’un mois d’inactivité. Il n’était pas tellement tôt, mais les festivités de la soirée précédente nous laissèrent un poids sur le cerveau. Comme à chaque fois, il nous était impossible de prendre la route en bonne condition physique. Il fallait absolument se donner une gueule de bois avant de quitter… cela était o-bli-ga-toire.

Sensation étrange que de piloter nos bécanes chargées après tout ce temps. Nous nous sentions comme deux cavaliers qui retrouvaient leur monture ! Derniers regards sur Kunming, ville que nous avons aimée et, en peu de temps, celle-ci disparue derrière nous. Maintenant armés d’une connaissance approximative du Mandarin et d’une volonté de se rapprocher de la population, nous étions en route vers de nouveaux récits.

Les premières journées furent difficiles. Une accablante déception s’empara de Geneviève. La forme physique n’était plus... Du moins, elle n’était plus se qu’elle était. Chaque ascension lui brisait le moral. Souvent, les larmes de ses yeux se joignaient à la sueur de son front pour mouiller sa figure attristée. C’est que le Yunnan est une des provinces les plus montagneuses de la Chine. L’effort nécessaire pour franchir les sommets, accompagné des multiples souffrances qui surviennent lorsqu’on passe trop de temps sur un vélo affligeaient Geneviève de tout son être.

Au même moment, nous vivions la vie la plus inconfortable qui puisse être. Pendant 10 jours, nous avons roulé sur des routes perdues sans refuges. Nous avons affronté une météo qui oscillait entre déluges et légères averses sans jamais permettre au soleil de nous réchauffer. La tête callée entre les épaules comme un chien qui reçoit une correction de son maître, nous avons traversé les plateaux élevés en essayant d’oublier l’eau qui transperce nos manteaux et nos bagages. 10 jours d’intempéries… trempes en lavette !

Devant notre condition, l’altruisme des gens était à son maximum. Jamais auparavant nous avions assisté à une telle démonstration de générosité. Je me souviens de cet homme qui nous invita à nous recueillir dans sa misérable demeure située au milieu des terres les plus éloignés dans les montagnes. Il nous offrit le peu qu’il posséda avec la plus grande des fiertés. Deux lits qu’il désigna pour être les nôtres. De peur de décevoir, nous acceptions l’offre. Ce soir-là, lui et sa femme dormirent sur le fauteuil déchiré de leur salon. A l’aube, l’image des deux Chinois somnolant nous toucha beaucoup. Il était clair que dans leur position, ils avaient dû lutter pour trouver le sommeil. Il n’y avait pas de merci assez puissant qui pouvait exprimer notre reconnaissance et pas d’excuse assez cohérente pour formuler notre embarras. Nous sommes repartis sous la pluie avec un sentiment étrange. Est-ce que ces gens seraient aussi bien reçus dans notre pays dont on parle avec tant de bien ? Nous préférons ne pas répondre à la question…

Pendant 10 jours, nous avons aperçu que de rares villages. Nous avons vécu dans la nature parmi les fermiers et les campagnards. Notre éloignement de la ville s’est aussi fait sentir dans notre carnet de dépenses. Après 10 jours de vélos, nous avions chacun vécu sur un budget de 2,5$ par jour! Pas que nous avons été économes, mais il y avait eu peu d’occasion jusque là de sortir notre porte-monnaie.

Nous sommes ensuite arrivés à Nanning avec des vélos qui se plaignent de tous les bruits et des bagages qui sentent les égouts.

- Je crois qu’on mérite un repos Geneviève…
- Tu connais une plage au soleil près d’ici ?
- Oui… dans 3000km seulement !

Guanxi
A suivre...